Aimé et Madeleine (2)
Madeleine ouvre les volets, referme rapidement la fenêtre, il a encore gelé cette nuit. Comme chaque matin, fidèle spectatrice, elle s'assied sur l'unique chaise de la chambre, s'émerveille de ce monde endiamenté.
Paysage féerique, une mer d'or blanc aux vagues irisées inonde la plaine. Des stalactites, glaives translucides et acérés pendent des toits. Seul un rouge-gorge s'aventure dans ce monde sous l'emprise d'Aquilon. Mais l'heure tourne et l'ouvrage attend.
Aimé rentre de nourir les bêtes. Il s'inquiète de l'absence de madeleine dans la cuisine, l'appelle. Aucune réponse. Alors celui-ci gravit les quelques degrés jusqu'à leur chambre. Le visage blême, inconsciente, Madeleine gît sur le sol. Aimé panique, dépose son précieux fardeau sur le lit, couvre avec précaution la gisante. Ses mains tremblent. Regardant par la fenêtre, il espère apercevoir un voisin, mais personne. Dépourvu, il chausse ses sabots, court chez le médecin.
Pendant l'auscultation, Aimé s'impatiente à la cuisine. Nerveusement, il tortille ses doigts, lisse sa moustache, soulève sa casquette et passe une main rugueuse dans sa chevelure, il a peur de perdre sa "Mado". Sourire aux lèvres, le Docteur Branchu rejoint le brave paysan :
" Ne t'inquiète pas Aimé" lance le médecin , accompagné d'une tape amicale sur l'épaule.
" Elle est malade ?"demande Aimé
" Rien de grave, elle t'expliquera mieux que moi."
Un mince espoir traverse l'esprit d'Aimé. Dans la chambre il trouve Madeleine alitée , redressée sur l'oreiller. Il s'assied à ses côtés.
"Alors?" questionne Aimé.
Madeleine saisit une main de son mari, la dépose sur son ventre et rougit.
Il déborde de joie, dépose un baiser sur le front de son épouse, par pudeur retient ses larmes. Un paysan ne pleure pas.
" J'attends un petit." déclare Madeleine.
" Merci ma Mado, tu me fais le plus beau des prèsents." répond le futur père.
" J'ai eu raison d'espérer des jours meilleurs, là-bas, dans les tranchées."